Léon Gard n'aimait guère les reproductions photographiques (surtout en couleurs ) dont il ne manquait pas de souligner la vulgarité et la trahison à l'égard des peintures originales :

   Les reproductions d'œuvre d'art en couleurs ne sont ni exactes envers l'original ni exactes entre elles : plus jaunes, plus bleues, plus mauves, plus grises, etc. 

  Ces nuances qui peuvent paraître négligeables à beaucoup de gens sont pourtant essentielles, car le chef-d’œuvre tient souvent à peu de chose, et Léon Gard a raison de dire :

  Il ne faut pas mépriser le "rien" ou ce qui apparaît tel, car le rien est tout. En médecine, le rien est la dose qui fait le poison ou le remède, la vie ou la mort. En art, le rien fait les chefs-d’œuvre. Si le blanc de la pivoine de Manet était moins rosé ou plus rosé ce ne serait plus un Manet.

Les Fleurs

Bouquet de Provence aux arums (huile sur toile, 81 X 65 cm, Toulon 1927)

Bouquet de Provence aux arums (huile sur toile, 81 X 65 cm, Toulon 1927)

  "L’art plastique est une recherche d’harmonie visuelle dont la règle est le culte de la nature" (Léon Gard)

La nuance

Roses dans un vase (huile sur toile, 46 X 38 cm, 1936)

Roses dans un vase (huile sur toile, 46 X 38 cm, 1936)

En toute chose, c’est la nuance qui fait tout, le poids qui fait pencher la balance : une nuance de plus et vous êtes mort ; une nuance de moins et vous êtes vivant. Une nuance crée l’œuvre réussie, une nuance fait qu’elle ne l’est pas. Une nuance fait l’hérésie ou attient le point juste. C’est la nuance qui fait la beauté ou la laideur : si le nez de Cléopâtre, etc. 

Jetée de bouquet de fleurs fané (huile sur toile, 41 X 21 cm, 1940)

Jetée de bouquet de fleurs fané (huile sur toile, 41 X 21 cm, 1940)

Les fleurs

Bouquet de pivoines et verres (huile sur toile, 46 X 54 cm, Paris 1943)

Bouquet de pivoines et verres (huile sur toile, 46 X 54 cm, Paris 1943)

  On dit que l’usage de placer des fleurs dans un vase rempli d’eau pour décorer les appartements a été introduit par Berthe au Long Pied, la mère de Charlemagne. C’est peut-être prêter beaucoup d’initiative et d’influence à cette aimable dame. Quoi qu’il en soit, l’innovation fut-elle très heureuse ? Les fleurs ne sont certainement pas faites pour être enlevées à leur décor de feuilles et de terre : leur couleurs vives, adorables dans un parterre, deviennent d’une crudité intolérable lorsqu’elles sont isolée et serrées en bouquets, et comme disent les peintres, elles « viennent en avant ». La petite violette, découverte sous l’herbe, est exquise ; par contre, j’ai toujours eu l’œil blessé (j’en demande pardon aux gentilles bouquetières) par la grosse tache vulgaire d’un bouquet de violettes. Une fleur coupée est souvent stupide. Un bon peintre, consciemment ou non, use d’artifice pour atténuer sa crudité et sa raideur.

Pois de senteur (huile sur toile, 41 X 33 cm, Paris vers 1945)

Pois de senteur (huile sur toile, 41 X 33 cm, Paris vers 1945)

Suggestion n'est pas peinture

Lys blancs dans une cruche de verre (huile sur toile, 54 X 46 cm, 1955)

Lys blancs dans une cruche de verre (huile sur toile, 54 X 46 cm, 1955)

  Je mets en garde les amateurs contre la suggestion, c'est-à-dire contre toute peinture qui suggère une pensée quelconque, flatte un point quelconque de l'esprit, de l'opinion, avant d'être une fête, une caresse pour l'oeil. Si l'on ne s'écrie pas : Oh! le beau tableau, comme on s'écrie : Oh! le beau papillon, le beau nuage, la belle fleur, le bel arbre, tout est perdu : ce tableau n'est pas pour un amateur de peinture; il n'est pas pictural. 

Branches de lilas dans un verre (huile sur toile, 65 X 54 cm, Vers 1960)

Branches de lilas dans un verre (huile sur toile, 65 X 54 cm, Vers 1960)

Le phénomène de l'aura chez Léon Gard

Capucines dans un verre (huile sur carton, 33 X 24 cm, Paris 1968)

Capucines dans un verre (huile sur carton, 33 X 24 cm, Paris 1968)

 On observe dans beaucoup de peintures de Léon Gard un phénomène d’aura colorée qui enveloppe les objets, notamment les fleurs avec leurs couleurs vives.

  Il est étonnant de constater qu’à une époque où l’on voyait tant d’extravagances dans l’art pictural, ce procédé lui a parfois été reproché comme une fantaisie arbitraire, une théorie douteuse. Encore plus étonnant est de voir que ce reproche lui était généralement fait par des gens qui ne trouvaient rien à redire sur les théories des peintres cubistes, abstraits ou expressionnistes !

Roses et carafe de cristal (huile sur toile, 46 X 38 cm, 1955)

Roses et carafe de cristal (huile sur toile, 46 X 38 cm, 1955)

 Pourtant, le phénomène de l’aura chez Léon Gard n’est pas une  théorie arbitraire. Il n’a rien non plus de métaphysique. C’est la pure observation de vibrations colorées plus ou moins ténues qui émanent des objets ou qui naissent dans la rétine par réaction à une couleur vive et isolée  (si l’on fixe, par exemple, intensément un objet rouge sur un fond blanc, on verra apparaître au bout d’un certain temps, un halo vert autour de cet objet : l’œil compense cet excès de rouge par sa couleur complémentaire, le vert). Il faut admettre qu’un grand coloriste a une perception des vibrations colorées plus aiguë que le commun des mortels et qu’il s’en sert parfois pour donner plus d’intensité lumineuse à ses toiles.

Œillets d'Inde dans un verre (huile sur carton, 33 X 24 cm, Paris 1969)

Œillets d'Inde dans un verre (huile sur carton, 33 X 24 cm, Paris 1969)

  Ce procédé est plus prégnant  dans les tableaux de fleurs ou de fruits exotiques (les oranges, par exemple) parce que leurs couleurs vives, sorties de leur contexte naturel, demandent que le peintre les rééquilibre dans  sa composition. Ce procédé permet aussi au peintre d’inscrire un corps dans l’espace par une transition qui, tout en marquant la solidité de son contour, le laisse « respirer » dans l’air qui l’enveloppe.

  Léon Gard, en grand coloriste, avait le don de faire chanter les couleurs au plus haut point, à l’égal d’un Van Gogh. Il ne tomba jamais dans l’erreur du Fauvisme, qui dépassa le but en surenchérissant sur le génial hollandais. 

Noirceur et crudité

Cosmos dans un verre (huile sur carton, 33 X 24 cm)

Cosmos dans un verre (huile sur carton, 33 X 24 cm)

  Les marchands de tableaux savent bien par expérience que malgré certains tableaux à la mode, malgré le snobisme des tableaux sales (que beaucoup confondent avec tableaux anciens) rien n’attriste davantage la clientèle qu’un tableau sombre. Aussi, l’on a cru bien faire de réagir contre la manière « genre musée » et peu à peu, sous prétexte de « joie de la couleur », on est tombé dans la crudité et le bariolage. Faire chanter les couleurs est spécifiquement le don du peintre, qu’il y en ait peu ou beaucoup sur le tableau. Mais si un tableau sombre ne chante plus, un tableau bariolé hurle insupportablement. Beaucoup (y compris les peintres), insensibles à la crudité, prennent le bariolage pour l’éclat, et s’imaginent qu’un tableau « tient le mur » lorsque ses couleurs sont plus vives. Il y a là un épouvantable malentendu. Il est certain que quand un tableau vif de couleur reste harmonieux, c’est-à-dire si ses tons sont équilibrés les uns par rapport aux autres, il est supérieur à tout autre tableau dans la mesure où ses couleurs sont  plus vives. Mais il est non moins certain que s’il est discordant, il est désagréable à voir dans la mesure où ses couleurs sont vives. 

La peinture

Pivoine rose dans un verre (huile sur toile, 33 X 24 cm, 1960))

Pivoine rose dans un verre (huile sur toile, 33 X 24 cm, 1960))

Renoir disait, paraît-il de Cézanne : « Comment fait-il ? Quand il met un ton à côté d’un autre, c’est déjà très bien ». Eh, oui ! C’est toute la peinture et l’on pourrait dire cela de tous les grands peintres et de Renoir lui-même. Précisons que ce « très bien » on ne l’invente pas, il est déjà dans la nature et le peintre qui s’est débattu pour faire un ton juste le sait bien. L’homme, malgré ses ambitions, ses prétentions et, pour tout dire, son orgueil, est proprement incapable de rien inventer réellement. Sa supériorité d’animal supérieur ne vient que de sa bonne imitation de ce qui est au-dessus de lui et qu’il n’a pas créé. Quand il n’imite pas et prétend inventer, on voit sa faiblesse et son impuissance. Ce qu’il fait de son propre fond est toujours très mal esthétiquement et a les conséquences pratiques les plus fâcheuses dans un délai plus ou moins éloigné.

Dans l’art, on dit que tel objet ne représente rien en ce qu’il ne représente pas une scène quelconque ou un objet connu, mais cela n’implique pas strictement que telle forme, tel ton ne soit pas emprunté à la forme ou au ton de telle chose de la nature moins connue, sans quoi quel point d’appui, quel criterium aurait-on pour dire que c’est beau ou laid ? La musique imite les harmonies naturelles  qui, on ne sait pourquoi, viennent du mystère des accords et des parentés des sons et sont des lois intransigeantes. On dit d’une harpe qu’elle est « Eolienne » parce qu’Eole était le dieu du vent, et un morceau de Wagner s’intitule les « murmures de la forêt », etc. Il en est de même pour les couleurs et si tel accouplement de tons est « très bien », comme disait Renoir, c’est qu’il imite une harmonie déjà créée.

Apollinaire parle de la « maudite discipline » de la nature mais Apollinaire est un pauvre homme : quand on appartient à l’espèce humaine, quelle discipline peut-on concevoir d’autre que celle de la nature ? 

Le mauvais goût

Roses dans une coupe (41 X 33 cm, Paris 1965)

Roses dans une coupe (41 X 33 cm, Paris 1965)

Le mauvais goût  est évidemment le contraire de l’art. En quoi consiste-t-il donc ? En le plus ou le moins qui fait qu’une œuvre n’atteint pas ou dépasse le point juste. On observe que le trop ou le trop peu, c’est-à-dire le faux, s’accommode fort bien d’une œuvre qui étonne quoique médiocre, parce qu’elle est inattendue. Par contre, une œuvre non-inattendue et, pour tout dire, banale, peut atteindre le point juste qui fait l’œuvre d’art. Rien n’est plus banal que ce merveilleux tableau de Manet s’intitulant simplement « Vase de pivoines ». Mais, tandis qu’un vase de pivoines peint par X n’a que peu d’intérêt, les pivoines de Manet sont un chef-d’œuvre. Il faut donc que, dans ce sujet banal, il y ait ce peu qui change tout. On n’en finirait pas de remarquer ce phénomène : une nature morte est comme une autre nature morte, un portrait comme un autre portrait, une Sainte-famille comme une autre Sainte-famille, un vieillard comme un autre vieillard, etc. La seule différence tient à peu de choses : l’œuvre est de Chardin, d’Holbein, de Raphaël, de David ou d’Ingres ou de Rembrandt.

Il s’ensuit que ce n’est pas l’inattendu —qui étonne beaucoup de gens — qui fait l’œuvre d’art mais le point juste —que peu de gens remarquent. Donc, si  l’inattendu, le surprenant ne sont pas absolument incompatibles avec l’œuvre d’art, ils ne la constituent pourtant pas et ne doivent pas, comme il arrive souvent, être pris pour l’art.

Roses roses et campanules dans un verre (huile sur toile, 27 X 22 cm, 1965)

Roses roses et campanules dans un verre (huile sur toile, 27 X 22 cm, 1965)

Il arrive même que, généralement, l’art qui, non seulement est le point juste, mais encore n’est pas autre chose, soit totalement oublié parce qu’on ne juge  une œuvre artistique que lorsqu’elle produit un effet de surprise.

On comprend donc que, dans ce cas, on préfère le mauvais au bon parce qu’on juge bon ce qui est surprenant et que le surprenant n’est pas l’art.

 Le mauvais goût est préféré au bon dans les jurys parce que les jurys ne jugent pas une œuvre selon le point juste qui est l’art. Les jurys sont pressés et politiques. Ils doivent juger sans attendre tandis que le point juste n’apparaît qu’à l’examen serein et tranquille.

Si l’on a une préférence pour le mauvais goût, ce sera toujours le mauvais goût qui triomphera car celui qui est choisi choisira à son tour, selon sa nature : le faux appelle le faux.

Les jurys pressés et tendancieux ne sont-ils pas pères du mauvais goût ? 

Pivoines roses dans un vase de Gien (huile sur toile, 81 X 65 cm, 1962)

Pivoines roses dans un vase de Gien (huile sur toile, 81 X 65 cm, 1962)

la compréhension des œuvres d'art

Pivoine et renoncules (huile sur toile, 46 x 38 cm, Paris vers 1960)

Pivoine et renoncules (huile sur toile, 46 x 38 cm, Paris vers 1960)

  Souvent les oeuvres d'art sont peu comprises à leur apparition, jugées trop supérieures ou trop inférieures, alors qu'on les juge mieux quand un certain temps s'est écoulé. Pourquoi ne les voit-on pas tout de suite telles qu'elles sont? Parce que ce que l'on considère comme la vérité à une époque n'est pas forcément la vérité de toujours. La notion du bien et du moins bien se limite à l'opinion des gens qui comptent à une époque, à tort ou à raison. Il s'ensuit que si cette opinion est bonne, les oeuvres d'art sont à leur vraie place, mais que si cette opinion est fausse, les oeuvres d'art ne sont pas à la place qui convient ni aux artistes ni à la société.

Pois de senteur dans un verre (huile sur carton, 41 X 33 cm, vers 1965)

Pois de senteur dans un verre (huile sur carton, 41 X 33 cm, vers 1965)

Nota : Tous les textes de cette page en italiques et couleur sanguine sont de Léon Gard.

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